Traduction du texte ci-dessus rédigé en lettres gothiques :
"Nom, matricule et bloc[*] de la détenue : Maurel, Renée
Matricule : 19315 Bloc : 27
« Chaque prisonnier a le droit de recevoir ou d'expédier une lettre ou une carte par mois. Elles doivent être écrites à l'encre et être bien lisibles. Les lettres n'ont pas le droit de dépasser 4 pages de 15 lignes chacune, les cartes 10 lignes maximum. Chaque écrit n'a le droit qu'à des timbres de 12, les autres (timbres) sont confisqués au profit d'autres prisonniers.
L'envoi de photographie n'est pas autorisé. Tous les envois doivent porter le numéro du prisonnier et du bloc. Tout courrier non conforme est refusé.
Tout peut s'acheter dans le camp. Les envois d'argent sont autorisés, mais doivent être signalés. Les journaux nationaux-socialistes sont autorisés mais doivent être commandés par le prisonnier, lui-même auprès de la « commission de censure » du camp des femmes.
Des demandes de libération auprès de l'autorité du camp sont inutiles.
Le commandant du camp"
Traduction de la lettre manuscrite :
"Ma très chère fille,
Une lettre de France et un paquet, les deux en même temps, quelle joie ! Ceci m'est impossible.
Votre mère pense toujours à vous et espère vous revoir bientôt, bien sages et très bientôt. Revoir mes deux petits est mon grand espoir.
Est-ce que Ety a de nouvelles dents ? Ont-elles bien poussées ? et ma petite, tu me procures souvent de la joie quand je m'imagine ce que vous faites, toute la famille, les amis.
Ne vous faites aucun souci pour moi. Tout va bien. Soyez en bonne santé. Rassurez-vous. Ulrine aimerait tellement avoir des nouvelles et savoir qu'il est aussi gâté par vous. Comme c'est gentil tout ce que vous faites pour moi, mais je voudrais un cake fourré marmelade Perrigault.
Mme Dienst-Marien doit conserver ses bonbons. J'aimerais du savon et une brosse à dents mais surtout une bonne lettre.
Avec tendresse et amour"
Étape 1 : Décrire⚓
1/ Quel est ce document ? Quelles hypothèses pouvez-vous formuler sur son usage ?
2/ Décrivez-le le plus finement possible. Quelles informations pouvez-vous connaître grâce aux tampons ?
3/ Quels éléments peuvent paraître surprenants ?
Étape 2 : Comprendre⚓
Renée Maurel, résistante⚓
Renée Maurel est emprisonnée car elle appartient au réseau de Résistance de son mari, Etienne, secrétaire de la mairie de Montfort-sur-Meu (Ille-et-Vilaine, 35).
Dès 1940, ce dernier dissimule les armes qui doivent être déposées par les habitants à la mairie sur ordre des Allemands. Il installe également un poste émetteur dans le grenier de leur maison à Montfort-sur-Meu en octobre 1941 et participe, dès novembre, à la publication d'un journal clandestin appelé La Bretagne enchaînée. 3 à 5 000 exemplaires sont alors diffusés toutes les quinzaines entre novembre 1941 et février 1942. Le journal comporte en manchette une phrase de G. Clémenceau « Ni trahison, ni demi-trahison : la guerre, rien que la guerre. ».
En 1942, Etienne Maurel est lié au réseau de Résistance Manipule. Le 1er février 1942, le couple Maurel participe au parachutage d'armes et de matériel expédiés depuis Londres par avion.
Suite à cette livraison, le SD[*] procède à plusieurs arrestations : Etienne est arrêté chez lui le 12 mars 1942. Il meurt en déportation à 28 ans, le 12 août 1943 dans le camp de concentration de Natzweiler-Struthof, en Alsace.
Le dimanche 23 août 1942, le SD arrête également sa femme, Renée Maurel. En tant que membre d'un réseau de résistants, elle est emmenée à la prison Jacques Cartier de Rennes, puis transférée à la prison de la Santé à Paris le 29 août, à celle de Fresnes le 13 octobre, au Fort de Romainville le 27 avril 1943. Internée une nuit à Compiègne, elle est déportée avec 220 femmes jusqu'au camp de Ravensbrück. Le transit dure 3 jours : du 28 au 30 avril. C'est le premier convoi de résistantes françaises déportées dans ce camp. Elles reçoivent un matricule selon leur ordre d'arrivée. Elles sont les 19 000.
Renée Maurel est libérée le 9 avril 1945 et est de retour en Bretagne la semaine suivante.
Témoignages sur les courriers écrits en déportation⚓
D'après Renée Thouanel-Drouillas[*] qui nous a fourni la lettre de Renée Maurel. Renée Thouanel est par ailleurs fille d'Emile Drouillas, déporté :
"Cette lettre est envoyée du camp de Ravensbrück par Madame Renée Maurel à sa mère. Les deux filles de Renée, Ety et Elen, sont alors élevées par leur grand-mère et leur tante. Celles-ci reçoivent bien le courrier et leur réponse sera également transmise à Renée. Dans certains camps, en 1943 et 1944, les déportés - principalement ceux qui n'étaient pas sous le régime NN, Nacht und Nabel[*] (Nuit et Brouillard) - pouvaient écrire et recevoir des lettres mais celles-ci devaient être écrites en allemand. Bien peu de déportés français savaient écrire en allemand. Ils apprenaient très vite quelques mots ou expressions oralement car ils devaient pouvoir répondre quand un Allemand les interpellait mais, en général, ils ne savaient pas écrire dans cette langue. Ils devaient donc trouver quelqu'un qui le faisait à leur place. Pour cela, ils pouvaient payer cette personne en lui donnant une partie de leur maigre nourriture".
Témoignage de Marie-José Chambart de Lauwe[*], déportée à Ravensbrück :
Dans son ouvrage, Résister toujours, daté de 2015, Marie-José Chambart de Lauwe écrit : « L'année 1944 débute sans rien apporter de nouveau [...]. On nous a distribué du papier pour correspondre avec nos familles. Deux fois, déjà, notre block a écrit, fin octobre et début décembre. Nous devons rédiger nos lettres en allemand, nous dire en bonne santé et ne rien demander comme nourriture, pas même du pain, car nous aurions l'air d'avoir faim. Si nos familles les recevaient, ces lettres ne diraient rien de ce que nous vivons, si ce n'est que simplement nous vivons encore. Mais je suis persuadée que ces courriers n'arriveront jamais. Nous sommes NN[*], donc disparues corps et esprit. Pour preuve, les matricules 19 000 qui sont avec nous. Elles ne sont pas NN et reçoivent lettres et colis depuis Noël, même si elles sont victimes de pillage.» (p. 152) ; «Je commence à baragouiner l'allemand. Nous nous enseignons mutuellement notre langue. Nous avons « organisé[*] » du papier et un crayon, et nous égrenons de longues listes de mots à apprendre. » (p. 156).
Attention :
Les droits et les situations des détenus sont divers. La plupart des déportés pouvaient demander de la nourriture, mais sans exprimer leur faim.
Un système de correspondance très réglementé⚓
Extrait de l'ouvrage L'enfer réglementé. Le régime de détention dans les camps de concentration de Nicolas Bertrand[*] :
"La partie du camp où se trouvent les détenus [...] est coupée du monde extérieur [...] Malgré cette mise au secret des camps de concentration prévue ici [citation précédente] par le règlement du camp de Ravensbrück, certains détenus peuvent correspondre avec leur famille. C'est avant tout dans l'intérêt du Reich et de sa sécurité, c'est-à-dire principalement pour prévenir le danger que représente l'inquiétude des familles."
Extrait d'une interview de Nicolas Bertrand[*]:
"Ce qui est caractéristique du système concentrationnaire et du quotidien des détenus c'est la réglementation. [...]
Je pense que certaines procédures sembleraient au lecteur totalement invraisemblables si je ne citais pas des récits de déportés illustrant leur application. Je pense ici par exemple aux rappels à l'ordre de l'administration du camp adressés à certains détenus allemands pour qu'ils écrivent régulièrement à leurs familles."
Questionnements⚓
1/ Pourquoi Renée Maurel est-elle arrêtée ?
2/ Où a-t-elle été détenue ? Que signifie le matricule figurant sur la lettre ?
3/ Combien de temps a-t-elle été prisonnière ? Combien de temps est-elle restée au camp de Ravensbrück ?
4/ A qui Renée Maurel écrit-elle ?
5/ Donnez des exemples prouvant que la communication des détenus avec l'extérieur est très réglementée.
Étape 3 : Analyser⚓
Le camp de concentration de Ravensbrück⚓


Le camp de concentration de Ravensbrück, situé dans le nord de l'Allemagne, à environ 80 km de Berlin, était le plus grand camp pour femmes du Reich et le deuxième plus grand dans le système concentrationnaire en général, après Auschwitz-Birkenau. Entre 1939 et 1945, 132 000 déportés de 23 nationalités différentes, dont environ 8 000 Françaises, furent immatriculés au KL[*] Ravensbrück. Les motifs principaux de détention étaient la criminalité, l'opposition politique, la qualification par les Nazis "d'asocial" (chômeurs, marginaux, alcooliques...) ainsi que l'origine ethnique (Tziganes et Juifs).
Le camp avait été construit sur une dune de sable, près d'un lac, dans une région froide et isolée. En 1941, un petit camp pour hommes avait été ajouté. Deux blocs servaient d'infirmerie pour les détenus, deux autres d'entrepôt. Dans les baraquements de détenus se trouvaient des lits superposés à trois niveaux. Les blocs étaient sales, puaient et étaient infestés de poux. En outre, les rations de nourritures étaient misérables, plus particulièrement après 1941.
L'appel débutait vers 4h du matin et se terminait lorsque les SS avaient compté les détenues (il durait généralement deux heures). L'ensemble des femmes travaillait pendant 12 heures, dans des ateliers, sur des chantiers permanents ou des chantiers occasionnels. Elles effectuaient des gros travaux tels que creuser le sable dans une carrière ou transporter du mâchefer[*] à étaler sur les routes. Elles montaient des pièces dans l'usine Siemens ou reprisaient des vêtements militaires dans l'entreprise à proximité. Certaines femmes pouvaient également être transférées vers des kommandos[*] de travail extérieurs ou envoyées sur commande à des industriels et commerçants de toute l'Allemagne qui y trouvaient une main-d’œuvre bon marché.
Dans les camps, la mort était le quotidien et les méthodes d'exécution multiples.
A Ravensbrück comme dans la plupart des camps de concentration, les déportés mouraient de l'exposition au froid, de la faim, de l'épuisement, du manque d'hygiène, des maladies, des coups reçus et autres punitions mais aussi de l'exécution (individuelle ou collective) par arme à feu ou par pendaison. Les autorités SS soumettaient régulièrement les prisonnières à des « sélections » au cours desquelles les détenues considérées comme trop faibles étaient isolées puis tuées.
Les déportées pouvaient également décéder des empoisonnements réalisés à l'infirmerie du camp ou des suites d'expérimentations médicales. En effet, les médecins SS réalisaient sur certaines prisonnières de Ravensbrück des prélèvements et des greffes d'os. Ils manipulaient les plaies infectées et expérimentaient des traitements contre ces blessures. D'autre part, ils effectuaient des tests de stérilisation sur des Tziganes.
Un premier four crématoire fut construit pour permettre de brûler rapidement les corps des détenues décédées.
Mais les procédés de mise à mort évoluèrent vers une extermination plus massive. A partir de 1942, les détenues "sélectionnées" furent régulièrement transférées vers différents lieux disposant de chambre à gaz. Ces convois étaient appelés « transport noir » par les détenues françaises qui en comprenaient la signification.
En outre, fin 1944 ou début 1945, une chambre à gaz fut construite près du crématorium de Ravensbrück. Entre 5000 et 6000 personnes y furent assassinées avant l'arrivée des troupes soviétiques en avril 1945.
Questionnements⚓
1/ Comparez le ton de la lettre et la réalité de la vie dans le camp. Comment expliquez-vous ce décalage ?
2/ Trouvez la phrase codée de la lettre. Pourquoi Renée utilise-t-elle une phrase codée ?
Étape 4 : Préparer la présentation de l'objet⚓
Méthode :
Reprenez les réponses aux questions précédentes et, à partir de vos connaissances, réalisez une carte mentale sur l'objet : le but est de le présenter avec des notes. Vous veillerez à décrire finement l'objet, à préciser sa signification et son utilisation durant la Seconde Guerre mondiale. Votre mission est de faire revivre l'objet, d'en raconter son histoire.
Quelques conseils :
1/ Réfléchissez en surlignant dans vos réponses et prises de notes les mots-clés qui devront apparaître sur la carte mentale. Faîtes ensuite un brouillon et structurez les éléments que vous utiliserez à l'oral.
2/ N'oubliez pas de vous exercer en présentant tour à tour l'objet.
Enfin, vous pouvez bien évidemment effectuer des recherches pour élargir vos connaissances sur "la résistance et sa répression" ou sur "le quotidien dans les camps de concentration".
Attention : Vous devrez présenter oralement l'objet à d'autres élèves et de manière vivante :
- oral court (5 mn), audible, compréhensible, dynamique à l'aide des notes rédigées sous forme de carte mentale
- nécessité de montrer/démontrer ce que l'on avance (appui de l'objet + citer ses sources)
